ARTICLE PARU DANS REGARDS OCTOBRE 2000 ECOLE : LES MARCHANDS DANS LA CLASSE ?
Depuis Seattle, la formule fait florès : le monde n'est pas une marchandise.
Mais l'école ? Pour s'en être inquiété, Gilbert Molinier
professeur de philosophie au lycée Auguste Blanqui de Saint-Ouen, se
retrouve pris dans une salle histoire juridico-professionnelle. En avril, l'enseignant
conteste le bien-fondé pédagogique de l'inscription de son lycée
au " jeu-concours des masters de l'économie " organisé
par la banque CIC. Ce jeu a pour but " d'initier les jeunes lycéens
aux marchés financiers et à la Bourse par la création d'un
portefeuille fictif d'actions dont ils suivent l'évolution. Au bout d'un
certain temps, le club qui a fait la meilleure performance gagne un voyage à
New-York " dit Mme Esclavard, sous-directrice de l'agence de Saint-Ouen.
Cinq élèves par club, encadrés par un parrain, qui peut
éventuellement être un professeur.
Le courrier qu'adresse Gilbert Molinier au proviseur provoque la colère
de ce dernier qui porte plainte pour diffamation, entraînant la diffusion
d'une pétition " pour la défense de Gilbert Molinier et du
principe de laïcité dans l'école publique. " Est-ce
le rôle d'un lycée public que d'organiser, avec une banque privée,
un jeu dont l'objet est de devenir le meilleur boursicoteur ? Est-ce à
travers ces initiatives que l'Ecole espère recoller à la modernité
? Pour appuyer ses protestations, Gilbert Molinier cite notamment une directive
ministérielle publiée dans le B.O. de l'Education nationale en
septembre 1999 : " [.] afin de garantir le respect du principe de neutralité
de l'école [.], il ne sera pas donné suite aux sollicitations
émanant du secteur privé, dont les visées ont généralement
un caractère publicitaire ou commercial.
" Ce que confirme Mme Esclavard : " Nous sommes une entreprise et
il est évident que l'un de nos objectifs en organisant ce jeu est de
nous faire connaître par les jeunes. C'est clair, nous cherchons de la
clientèle, même si nous pensons qu'il y a un intérêt
pédagogique pour les élèves. " Cette franchise n'aurait
pas suffi à décourager le Rectorat qui, selon Mme Esclavard, a
donné " l'autorisation d'entrer en contact avec les lycées.
" Le Rectorat n'a, à ce sujet, " aucun commentaire à
faire ", si ce n'est que ce type de décision relève "
de l'autonomie des établissements " . Si l'Education nationale semble
bien empêtrée dans ses contradictions, le CIC est plutôt
content de cette nouvelle forme de partenariat. Mme Esclavard : " On ne
s'est pas acharné mais on a eu quelques ouvertures de compte, bien sûr.
"
Emmanuel Riondé.