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Quelques lignes à propos du sort (de l'agonie...) du latin et du grec , et de son lien avec d'autres "modifications" de l'enseignement des lettres : (28/10/2000)

Un collègue avait posé cette question sur plusieurs forums de lettres :

A propos du latin, je souhaiterais lancer le débat suivant : que faut-il penser de la méthode d'enseignement qui consiste à ne travailler que sur des textes authentiques ? Personnellement, après avoir été un fervent partisan de cette méthode, je la trouve de plus en plus contestable. En effet, quand on regarde les textes proposés dans les manuels du collège, on s'aperçoit qu'ils sont trop difficiles pour les élèves et intraduisibles par eux. Du coup, c'est seul le professeur qui travaille et, au bout du compte, les élèves n'ont acquis, ni vocabulaire courant, ni les structures de base. Ils> traduisent toujours au "pif" et ne comprennent rien au système des> cas. Je vois des élèves qui, arrivés en troisième, sont incapables de traduire des phrases aussi simples que" Romani putabant lunam esse deam" ! ou "Propter saevum bellum agris relictis, frumentum in urbe mox defuit". Je suis désolé, mais prétendre qu'il faille apprendre le latin en travaillant sur des textes authentiques, est aussi absurde que de dire que l'on peut apprendre l'anglais en faisant lire aux élèves de 6eme Shakespeare ou des extraits du Times ! Cela ne marche pas ! Cela n'a jamais marché ! Cela ne marchera jamais. Pourquoi ? Parce que tout apprentissage passe par l'acquisition de structures de base qui doivent être répétées plusieurs fois pour être assimilées , et parce que l'esprit humain procède, en général, par l'acquisition de formes simples pour arriver aux formes complexes. L'échec de la méthode globale dans l'apprentissage de la lecture aurait pourtant dû nous vacciner. Je suis donc revenu aux méthodes traditionnelles qui enchantaient les élèves de l'abbé Lhomond et j'ai adopté le manuel Gason Lambert nouvelle version (Magnard) dont certains inspecteurs ont dit le plus grand mal. Mais je vois le résultat : les élèves connaissent du vocabulaire, comprennent la logique de la phrase latine, et sont capables de traduire seuls des petites versions aux anecdotes savoureuses. J'étudie de temps en temps des textes authentiques, mais ils ne constituent pas mon fond de commerce. Est-ce normal docteur ? ( Seb. LUTZ)

 

Réponse sur "Lettres et débats"

Notons d'ailleurs parallèlement qu'en second cycle, et pour le plaisir de travailler là aussi en "séquences" au lieu de travailler le latin ou le grec, nous sommes de plus en plus orientés vers le travail avec traduction et bientôt , en dehors des L, vers la civilisation (puisque les élèves sont de plus en plus incapables de traduire des textes tout seuls); bref, comme pour la lecture globale ou semi qui produisent des illettrés à la chaîne, plutôt que de remettre en question les méthodes miraculeuses des apprentis sorciers, on "adapte" la suite de façon à "casser le thermomètre".

Effectivement, on observe que des bouquins d'initiation prétentieux prétendent partir de l'éternel "déjà-là" de l'enfant : donc, textes difficiles dès le début, avec devinettes et rapprochements intuitifs vers la traduction, et, surtout, aucune méthode; pour que l'idéologie actuelle pénètre bien les chères têtes blondes, bien sûr, on ne néglige pas d'assaisonner chaque chapitre du début jusqu'en terminale d'études de "l'énonciation" et des "récurrences de champs lexicaux" (puisqu'apprendre à apprendre et surtout apprendre à jargonner de manière identique quelles que soient les matières est devenu beaucoup plus important que d'apprendre quelque chose, latin ou grec justement par exemple). Mêmes méthodes totalitaires qui nous encerclent, mêmes résultats.

Je rêve, devant les manuels de français de seconde qui envahissent désormais le lycée et seront prolongés à l'identique en 1è, des "vieilles" méthodes chronologiques du style Lagarde ou Chassang , qui au moins donnaient envie de lire et faisaient connaître des auteurs et non pas seulement le jargon de la critique ou de la linguistique ; de même en troisième en français, chez Magnard, "Langages et textes vivants" d'Arnaud(années 90), était un manuel qui permettait aux élèves, par son plan chronologique, d'acquérir des repères dont on sait désormais qu'ils manquent cruellement -et ce livre , pourtant, mettait à notre disposition un bon tiers de textes actuels pour une réflexion sur des sujets contemporains... Mais on cède à la mode, et comme dans le domaine de la consommation, on accepte une politique qui veut faire croire que tout ce qui a dix ans est forcément stupide -on aurait pourtant pu croire que les profs étaient là pour apprendre le contraire aux élèves... De même en latin: voici dix ans, avec le Scodel -série de Cousteix (brièvement conservé tel quel chez Nathan), on pouvait en latin garder le sourire avec des textes fictifs, mais très progressifs, et apprendre : acquisition de vocabulaire mesurée et suivie, passage progressif aussi à des textes authentiques (l'âne d'or ) : époque bénie où l'on gardait les élèves de troisième en seconde, et où ils savaient quelque chose... Mais le débat n'est-il pas là? Veut-on vraiment garder des élèves dans ces matières, et veut-on encore qu'il apprennent quelque chose dans les autres...?

Lançons encore un autre ballon : alors qu'on prétend, donc, apprendre le latin ou le grec comme par osmose au contact de ces textes authentiques, nos élèves sont de plus en plus incapables de comprendre quoi que ce soit (jusqu'en terminale parfois) suite à la disparition programmée de la grammaire -dite désormais de phrase" pour montrer qu'elle est obsolète et qu'une autre a fort justement pris sa place ; d'ailleurs, là encore, les recueils de textes authentiques (genre "Lettres latines") ont disparu au profit de textes au programme accompagnés de commentaires et traduction, juteux pour leurs auteurs et éditeurs. N'est-ce pas encore un signe d'une volonté délibérée, et même de volontés convergentes? Un de mes collègues stagiaire de capes a dernièrement entendu un ponte d'IUFM, linguiste, se féliciter de ce que "désormais, l'enseignement du français avait été circonvenu": N'est-ce pas aussi le cas des autres matières?

 

Voir sur le sujet une étude plus approfondie

10/02/04: le grec et le latin disparaissent... comme le reste...PETITION à faire circuler.

10/11/06 : Il y a peu, un chef d'établissement m'avait demandé de motiver les élèves et parents au choix de l'option latin (en sous-entendant que ma pédagogie non séquentielle, ou insuffisamment enthousiaste quant au projet d'établissement, était en cause) ; j'ai pondu alors ce texte, en croyant rédiger des poncifs éculés. Las !... On m'a rendu ma copie en m'y signalant des passages qu'on jugeait inadmissiblement polémiques : je croyais décrire la réalité ... J'ai poliment remis ce même texte diminué des passages qui paraissaient remettre en question la qualité de l'enseignement ou des programmes actuels, en parlant avec un aimable sourire de mon effort positif d'autocensure... "C'est trop long" m'a-t-on rétorqué," personne ne le lira ! "- belle conception (officieuse) du public scolaire et parental. De fait, mon papier n'a bien entendu été remis ni aux élèves, ni aux parents : je l'aurais pourtant jugé banal voici dix ans et plus...Un aimable sourire de plus, et j'ai signalé que dans ces conditions, plutôt que de passer quelques heures à travailler ce texte et à le mettre en page, j'aurais dû me contenter d'un lapidaire " Le latin, c'est trop cool", ou, pour être un peu moins long, "le latin, c'est trop", ou, variante, "Trop pas, le latin". Je vous épargne les verlanisations possibles!

Le voici (pour télécharger) ou lisez-le ici

 

Lettre aux parents et aux élèves qui s’interrogent sur le latin.

 

Pourquoi prendre l’option « latin » en 5è ? Pourquoi une langue « morte » ? Qui peut ou devrait choisir cette option ?Pourquoi la conserver en 3è  et plus tard ?

 

 

 

D’abord, pensez que cette langue est à l’origine de la nôtre, et de bien des langues européennes, l’espagnol, le roumain, l’italien, l’occitan, le portugais... On devrait  vouloir la connaître comme ,  je l’espère, on souhaite apprendre ce que nos grands-parents ont connu, et peuvent nous transmettre pendant qu’il est encore temps. Chaque génération a à apprendre de la précédente. Certains de mes élèves, devant un film que je leur ai  présenté, n’ont pas su reconnaître une meule de foin, alors que les champs de la région en étaient pleins voici quarante ou trente ans : maintenant, on voit des « boules » enveloppées dans du plastique… Il est important de se souvenir du passé, de savoir d’où nous venons.  Ne l’oublions pas, nous ne sommes pas supérieurs aux Romains ni aux Gallo-Romains : ils étaient comme nous, physiquement et mentalement ; notre supériorité n’est souvent que d’appuyer sur le bouton « on-off » d’une machine à laquelle nous ne comprenons rien. Ils ont pensé, écrit, aussi bien que nous et sur les mêmes problèmes personnels, même s’ils n’avaient pas de portables…

Ensuite, il faut admettre que nous parlons de moins en moins bien notre langue, alors qu’ils bâtissaient de belles philosophies dans la leur : que se passe-t-il ?  Nous devenons un peu paresseux, dans notre confort : il nous paraît pénible de savoir l’orthographe, d’apprendre la grammaire, de savoir ce qu’est un nom ou un adjectif, un pronom, une préposition ou une proposition …Eux, ils le savaient il y a deux mille ans ; vos parents le savaient aussi, vos grands-parents encore plus…  Nous perdons ce savoir par paresse, et aussi parce que les « programmes » , ou la rentabilité, nous font négliger ce savoir, pourtant évident autrefois au certificat d’études. La publicité et la mode nous poussent au « texto », mais c’est grave.

Ne nous habituons pas à aimer l’ignorance ! Ne trouvons pas normal de ne plus savoir apprendre ce que savaient des élèves de dix ans il y a cinquante ans ! Je crois que c’est un défi à relever.

 Mais… « A quoi ça sert ? » , dira-t-on ? Je viens d’en parler en essayant de vous monter que le passé a de l’importance dans notre monde de « zapping » où seul l’instant présent compte. Nous pouvons cependant ajouter que cela aide à comprendre notre propre langue : curriculum vitae, agenda, et cetera, album, sont des mots latins. Par ailleurs, la grammaire française nous apprenant de moins en moins ce qu’est un nom, un adjectif, une proposition ou un complément, il se trouve que c’est indispensable en latin : on doit donc le revoir  et l’apprendre dans cette matière. Or, ceux qui  sortiront du collège dans notre monde européen apprendront bien vite qu’on doit savoir tout cela pour apprendre les deux ou trois langues supplémentaires qui nous seront nécessaires pour être au même niveau que nos confrères des pays voisins. L’étude du latin prépare bien à apprendre toutes les autres langues, par un bon apprentissage de notre propre grammaire.

Bien sûr, il y aura par la suite la découverte d’un autre monde, de l’archéologie, d’autres littératures  ou philosophies. Ce n’est pas utile pour se retrouver autour d’un Macdo, mais c’est important pour comprendre où nous sommes et d’où nous venons. Ce sera indispensable pour tous ceux à qui l’on demandera une culture générale dans l’enseignement secondaire ou supérieur. Désormais, l’option latin existe dans les grandes écoles scientifiques. Car un vrai savant ne manie pas que les chiffres, il doit réfléchir, et on n’influe pas sur l’avenir sans connaître le passé, on ne fait pas  de la science utile sans savoir manier les mots, les idées, la langue…

Nous n’en sommes pas là, bien sûr, et nous n’irons pas tous, moi non plus, à Polytechnique. Mais un jour, vous aurez (que c’est loin !...) des enfants, et vous serez contents de savoir leur expliquer un mot, de pouvoir les aider à construire une phrase, de leur expliquer une idée et ses origines. Un jour, vous ferez peut-être des études pour devenir aide-soignante ou  vétérinaire, ou vous lirez une notice de médicament, et vous comprendrez le sens d’un terme apparemment « barbare » : c’est ce qu’on appelle l’étymologie : vous comprendrez un mot inconnu parce que vous aurez appris à le décomposer, et souvent, ses éléments remonteront au latin. Je pourrais en dire autant du grec, qui disparaît lui aussi de nos écoles… Bref, tout cela, ce sont nos racines.

Soyons aussi pratiques. De nos jours, on passe souvent presque automatiquement de classe en classe, au point que certains se demandent parfois pourquoi il faudrait se fatiguer à travailler. Ils ont l’air d’avoir raison ; parfois, ceux qui travaillent se font tout petits, se cachent un peu… C’est plus tard qu’on voit la différence (trop tard pour ceux qui n’ont pas compris le piège) : quand au lycée on sélectionne les élèves selon les options – sans le dire.  Une classe de gens qui travaillent et ont des options n’est pas une classe où l’on travaille beaucoup plus, mais une classe où l’on travaille mieux ! Et, vers la 1è, (ou avant quand on se dirige vers des sections où l’on est sélectionné sur dossier), que regarde-t-on ?  Pas les matières où tout le monde se vaut, pas les bonnes notes là où tout le monde en a, mais les options : c’est là qu’on va  voir  que l’élève est ouvert et courageux, curieux d’autre chose ; c’est là qu’on voit que le bon « matheux » sait s’intéresser à autre chose, que l’élève ne se contente pas du minimum, qu’il sait persévérer. Combien de mes élèves ont dû au latin non seulement des récompenses honorifiques élevées (concours général) mais aussi des mentions au bac, et surtout, l’admission dans des filières recherchées où l’on appréciait ainsi leur volonté, leur courage, leur capacité de travail, et surtout, leur culture, leur intérêt pour la réflexion !

Revenons à l’aube de la cinquième, car je m’adresse aux élèves autant qu’aux parents. Nous avons besoin de maîtriser notre langue, sa grammaire, ses difficultés. J’ai eu des élèves nombreux de Terminale qui ne savaient plus ces derniers temps  conjuguer un verbe français, qui ne distinguaient pas un nom d’un adjectif, qui ne savaient pas faire une phrase. Faire du latin, c’est lutter un peu contre ce genre de lacunes, qui sont graves.

Est-ce dur ? Non. Je ne conseillerai pas le latin à ceux pour qui le moindre effort est insupportable. Il ne suffit pas de s’asseoir sur une chaise et d’attendre une bonne note. Comme lorsqu’on apprend le judo, il faut de l’échauffement, de l’entraînement, quelques compétitions. Mais celui qui fait honnêtement et régulièrement son travail peut bien réussir s’il suit la progression des exercices. Ne choisissez pas l’option latin, en revanche, si vous estimez que la  scolarité, puis la vie, ne doivent pas comporter le moindre effort ! De même que je ne vous conseillerais pas d’apprendre la plomberie si vous n’aimez pas vous servir de vos dix doigts ni de ce qui, entre vos oreilles, vous permettrait de concevoir la disposition d’un circuit d’eau chaude et d’eau froide dans une maison… Ne faites pas non plus de foot si vous n’aimez pas courir, ni de rugby si vous n’aimez pas  un ballon ovale ou une mêlée, et n’allez pas au ski si vous trouvez que la neige , c’est trop blanc,  ou trop froid! Sachez aussi qu’en s’inscrivant en latin, on s’inscrit pour le « cycle central » (deux ans) : c’est un engagement - mais il est honorable de s’engager, et d’ailleurs, arrêter ensuite serait comme  s’arrêter par mollesse à la ceinture orange en judo… Ce serait s’arrêter quand on a appris les bases, juste avant que cela devienne passionnant !... Inscrivez-vous pour aller jusqu’au bout !

On peut apprendre de tout en latin, on peut progresser, et même réfléchir. Cela ne fait pas mal ! Ceux de mes élèves qui ont continué  en ont toujours été contents ; certains ont maintenant l’âge de vos parents et s ‘en souviennent encore, m’envoient des mails ou viennent m’en reparler avec joie ! Des élèves de l’an dernier font de même, dans des écoles commerciales ou scientifiques…Ne parlons pas de ceux qui sont partis vers les lettres, l’histoire, ou le droit, où c’est encore plus évident !

 Bon courage et bienvenue au club !

Alain Talé.

 

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